Monique sur les crêtes
Monique Duval, 80 ans, a disparu. Partis sur les chemins, ses proches la cherchent. Ils tâtonnent, ils s’interrogent, ils s’engueulent, ils supputent. On les suit dans une nature de plus en plus sauvage, entre rencontres improbables et fuite en avant. Mais Monique n’est décidément pas où on l’attend, menant la danse dans une disparition orchestrée et joyeuse.
Notre héroïne, personne ne la verra et pourtant tout le monde la cherchera, cherchera à comprendre.
Les trois personnages partis à sa recherche sont sa fille, son neveu et son aide à domicile. Chacun a une histoire différente à raconter et une vision différente de qui est cette vieille dame.
Ils sont accompagnés de volontaires venus pour aider à la retrouver : le public.
Et voilà tout ce monde impliqué dans cette recherche aux allures de quête initiatique, tant bouffonne que poétique.
Mais Monique n'est pas là où on l'attend et bouleverse l’ordre des âges, l’ordre des choses.
L'arlésienne octogénaire nous pousse à nous interroger sur les normes de notre société, les concepts de dépendance, de vulnérabilité et de liberté.
Note d'intention
Tout d'abord une envie : emmener un public de théâtre à marcher sur les sentiers.
Ainsi, nous avons voulu nous interroger sur la marche. Comment est-elle devenue un loisir ? Une littérature abondante nous invite à retrouver l'appétit sauvage enfoui en nous et à renouer le lien à la nature, aux paysages. Sur le chemin surgissent l'univers littéraire et symbolique de la quête, de l'aventure initiatique, les romans picaresques, les récits, les exploits individuels et derrière ces récits, la plupart du temps, des hommes. Des aventuriers qui vont rompre avec leurs responsabilités sociales et partir le coeur tranquille sachant qu'une Pénélope quelque part veille sur le foyer... Aux hommes l'exploit, aux hommes l’aventure, aux hommes le danger.
Très vite, nous avons voulu nous inscrire en rupture avec ces récits et ce qu'ils véhiculent. C'est alors qu'est apparue dans notre esprit l’antihéros de récit initiatique par excellence : une femme âgée.
L'articulation des thématiques de la vieillesse et de la liberté s'est révélée féconde. Nous avons eu envie de travailler autour des tensions entre autonomie et dépendance, vunérabilité et liberté. La création du personnage de Monique et de ses proches nous a ouvert tout un champ de réfléxions autour de l'accompagnement des personnes agées et de la fin de vie, dans les familles, et à l'échelle d'une société.
Souvent, dans les histoires, les personnes âgées apportent une leçon de sagesse qui légitime l’état du monde tel qu’il est. Ici, nous posons un regard singulier sur la vieillesse en centrant notre histoire sur une femme dont la fugue résonne à l’inverse comme un cri de révolte. Son acte est une revendication à disposer de soi, à pouvoir sans cesse se réinventer, quel que soit son âge, son genre, son milieu social. Nous voulons que nos personnages et le public ne reçoivent donc pas un enseignement, mais plutôt une invitation à interroger leurs désirs et leurs assignations, au gré des paysages, des bifurcations, des crises et des indices.
En participant à un spectacle dans un lieu lui-même hors du cadre habituel des représentations théâtrales, nous voulons que le spectacle offre une fugue aux spectateurs et spectatrices, un espace de rupture avec le quotidien, favorisé par l’immersion dans un cadre naturel. Et pour ce récit, nous avons voulu laisser une grande place au rire, partager collectivement une expérience joyeuse et galvanisante.
Théâtre de rue: «Monique sur les crêtes», un spectacle qui fait marcher à Aurillac
Au Festival de théâtre de rue d’Aurillac, tous les spectacles n’ont pas lieu forcément dans la rue, mais plutôt à l’extérieur. Une compagnie, Belle Pagaille, propose même un spectacle sous forme de randonnée. Avec « Monique sur les crêtes », ils traitent du thème de la vieillesse en pleine immersion dans la nature. Marine Salaville a chaussé ses baskets pour y participer...
Article dans "Les 3 coups"
Focus 1, Éclat, festival international du théâtre de rue, In, Aurillac
Prendre le maquis
C’est un beau portrait de femme âgée, in absentia, que nous propose Monique sur les crêtes de la compagnie Belle Pagaille. La téméraire senior s’échappe de l’Ehpad. Après une mobilisation tonitruante orchestrée par Caroline, sa fille surbookée, son neveu Jérémy et son aide à domicile, Mélissa, nous voilà sur ses traces dans les hauteurs d’Aurillac, avec le GPS tracer raptor de Caroline, une épigone de la start-up nation. On découvre peu à peu une tout autre image de la vieille dame éprise de liberté : elle écrit de la poésie « mais tout le monde s’en fout ». Elle s’est sentie blessé qu’on se moque de son désir de faire de l’aviron. On comprend mieux que Monique se soit soustraite aux attentes familiales et ait pris la poudre d’escampette en pleine nature, en bivouac ultra light.
C’est naïf, mais pas caricatural pour autant. Burlesque parfois, avec le surgissement de joggeurs, d’une livreuse type Deliveroo en plein champ et d’autres personnages des bois. Les vaches assurent l’ambiance sonore. Le public est mis plaisamment à contribution par le trio énergique de comédiens. On suit avec intérêt cette déambulation sur les traces de la parole étouffée des personnes âgées. Le jeu de piste devient de plus en plus sensible, nuancé, jusqu’à la surprise finale. On prend littéralement le large. Superbe théâtre de paysage qui dialogue avec la campagne environnante et sonde les paradoxes de nos relations à nos aînés.
« Monique dans les crêtes », de Belle Pagaille © Stéphanie Ruffier
Un spectacle de chemins
La marche peut dépasser la dimension récréative. Elle peut se faire acte de résistance, mouvement à contre-courant, refus des injonctions de compétition, performance et rentabilité que nous impose notre société. C’est accepter la lenteur, c’est prendre le temps de se connecter avec son environnement. C’est favoriser la pensée en mouvement qui stimule l’ouverture de nos imaginaires, essentielle à la réinvention de nos vies individuelles et collectives. Dans un souci d’accessibilité, l’objectif n’est pas que cette marche soit longue. Plutôt que d’avaler les distances avec le public nous aurons surtout à coeur de mettre les spectateurs et spectatrices dans un état proche de celui que les randonnées provoquent : la rupture avec le quotidien, l’éveil des sens et une appréciation accrue de son environnement. Nous jouons avec les singularités de chaque paysage que nous rencontrons. Le lien à l’espace public est un des éléments clef de cette création en interrogeant notre usage des espaces naturels et en participant à la valorisation des territoires qui accueillent le spectacle.
Les coproductions :
Eclat - Centre National des Arts de la Rue et de l’Espace Public - Aurillac
Le Club des 6 - Bourgogne Franche-Comté
La Transverse - Scène Ouverte aux Arts Publics - Corbigny
Animakt - Fabrique vivante d’arts, de liens et de culture - Saulx-les-Chartreux
Aide à la création :
Région Occitanie
Les soutiens :
Le Théâtre de l'Unité, Pronomade(s),
La Filature du Mazel,
La Dame d'Angleterre,
Le Grand R,
la Vache qui Rue
♥ Critique Aurillac 2022 / « Monique sur les crêtes » de la Compagnie Belle Pagaille
Attention cet article comporte du spoil
Quel mystère ! Au Festival d’Aurillac 2022, la troupe de Valflaunès a donné rendez-vous au public sur un point GPS, avec pour consigne : avoir de bonnes chaussures de marche. Nous voilà un groupe de 50 randonneurs à 10h30 sur les crêtes d’Aurillac, au milieu des prés et au son des cloches de vaches à la recherche de Monique. L’avis et la critique théâtre de Bulles de Culture sur le spectacle coup de cœur Monique sur les crêtes de la Compagnie Belle Pagaille.
Synopsis :
Monique, 80 ans a disparu. Son neveu Jérémy (Pierre-Damien Traverso) a lancé un appel sur les réseaux afin de la retrouver. Muni d’une pancarte où le portrait de la disparue s’affiche en grand, il est rejoint par Caroline, la fille de Monique et Jessica son aide à domicile. La consigne est simple, le portable de Monique a borné non loin de là et nous allons mener une battue…
Le postulat de la Compagnie Belle Pagaille a toujours été d’investir des lieux non dédiés au théâtre. Après un salon de coiffure, voilà que cette année, Léa Good, Léa Marchand, Capucine Mandeau, Cécilia Schneider et Pierre-Damien Traverso se lancent le défi d’un spectacle en randonnée avec Monique sur les crêtes.
Tout au long de ce cheminement, c’est le thème crucial de la vieillesse qui est abordé, et avec le sourire. A l’heure où la gestion des EPAHD fait scandale en France, la Compagnie Belle Pagaille choisit de traiter le thème de nos anciens avec beaucoup d’originalité et de finesse.
Trois guides sur les crêtes
Pour Monique sur les crêtes, ils sont trois à nous guider sur les crêtes au Festival International de Théâtre de Rue d’Aurillac, à la recherche de Monique. Chacun symbolise une façon de gérer la vieillesse dans notre société.
Jérémy le neveu cool de Monique est à l’origine de la battue, c’est Pierre-Damien Traverso qui donne les consignes à la foule. Il apprécie sa tante, peut-être aussi pour l’argent qu’elle lui donne…
Caroline, la fille de Monique est hyperactive. Elle est jouée en alternance par Cécilia Schneider et Capucine Mandeau. Son credo : « Quand je veux, je peux ». Très stressée par la disparition de sa mère, elle court et hurle. Cette déambulation sera pour elle un temps de bilan. Quel lien a-t-elle tissé avec sa mère âgée et atteinte de la maladie de Parkinson ?
Caroline est très fière de sa vie de femme active, pilote de multiples projets. Le rouge est sa couleur. Elle a paré au plus pressé et pense avoir toujours agi au mieux pour le bien-être de sa mère. Toute la journée, elle lui téléphone pour lui rappeler de boire de l’eau, elle a même trouvé une aide- ménagère pour l’accompagner.
Là, elle sature ! Et quand son supérieur lui annonce que puisqu’elle est absente, elle vient de perdre son poste, elle craque et promet dans sa rage, épuisée par les recherches, de mettre Monique en Ehpad… si elle la retrouve.
Pour finir, le personnage-clé de ce trio du spectacle Monique sur les crêtesest Mélissa. Elle est jouée en alternance par Léa Good et Léa Marchand. Mélissa représente toutes les aides à domicile des anciens. Comment les rendre heureux au seuil de leur vie ? Tel est son combat.
« Je veux des grandes victoires ! », quitte à conduire à 180 km à l’heure avec Francis ou même fournir un Cheep and dale à Lucienne…
Monique sur les crêtes : une déambulation loufoque et profonde
Telle est la force et la magie du théâtre de rue. En l’occurrence ici, du théâtre de sentiers de
randonnée. La Compagnie Belle Pagaille, grâce à des initiatives astucieuses, plonge le promeneur-spectateur dans une quête commune. Et tout le monde joue le jeu.
Car nous JOUONS tous, comédiens et spectateurs. Et ce jeu est délectable. A chaque étape de la déambulation de Monique sur les crêtes, la surprise est au rendez-vous.
Un portable caché dans un pré, un joggeur survolté qui lui aussi a croisé Monique, un survivaliste qui surgit d’un arbre, déguisé en Cetelem, un livreur Uber Eats en plein bois. Le rire est prétexte à aborder l’avenir de nos vieux.
Nul ne sait si Monique sera au bout du chemin, mais ayez une certitude : l’émotion sera au rendez-vous.
Notre avis ?
Quelle énergie ! La journée commence bien avec cette randonnée-spectacle qu’est Monique sur les crêtes. La foi du groupe de comédiens est communicative. La mise en scène est vive, originale et rythmée. Ils nous emportent dans cette enquête tourbillonnante.
Mais quelle vieillesse voulons-nous vraiment ? Monique détient-elle la clé ?
Ce sont les corps mais surtout les esprits qui cheminent sur ces crêtes. Merci Belle Pagaille ! C’est un spectacle coup de cœur de Bulles de Culture.